La revue de presse académique #9
Voici la 9ème édition de la revue de presse académique, en temps de crise sanitaire, rédigée par nos enseignants-chercheurs.
Bonne lecture !
Droit social :
Alors que le retour des salariés sur site s’organise dans les entreprises dans le respect de conditions protectrices de la santé des travailleurs, le télétravail doit toujours être selon le ministère du travail privilégié « jusqu’à nouvel ordre » (« Questions-réponses » Télétravail et déconfinement mis à jour au 25 mai). Il était prévisible que ce recours massif au télétravail durant la crise sanitaire en modifie la perception tant du côté des entreprises que de celles des salariés (voir les réflexions de M. Lanouzière dès le début du confinement). Les enquêtes menées durant la période de confinement ont d’ores et déjà révélé les opportunités mais également les risques liés à un vaste déploiement à plus long terme du télétravail (voir notamment l’enquête et les recommandations de l’ANACT). Les GAFA se sont pourtant engouffrés dans la voie d’une généralisation de ce mode de travail (Le Figaro, 17 mai 2020, « Capture d’écrans » N°10 : le télétravail, une aubaine pour les Gafa?) Mais le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux prévient : « le télétravail n’est pas l’alpha et l’oméga ». Alors, quel avenir dans nos entreprises pour le télétravail ? Grégoire Loiseau le souligne : « Le chantier est colossal : au-delà des sujets intéressant les salariés individuellement, c’est toute une organisation des relations professionnelles qui doit être repensée, de la santé au travail à la représentation collective » (G. Loiseau, Le télétravail au temps d’après, Bull. Joly Travail 1er juin 2020, n° 6, p. 1). La CFDT, la CFTC et l’UNSA ont quant à elles publié le 14 mai leurs préconisations en vue de la reprise d’activité et quant aux perspectives à venir. Une évolution du cadre normatif du télétravail devrait-elle dès lors s’imposer ? Une modification de la législation n’est clairement pas envisagée par le Gouvernement. En revanche, des organisations syndicales de salariés, en réponse à l’appel lancé par le Medef à conduire collectivement un travail de diagnostic, ont manifesté leur souhait de voir s’engager une négociation pour un nouvel ANI sur le télétravail. Cependant pour le Medef, il ne s’agit pas d’inscrire ces discussions dans la perspective d’un nouveau cadre normatif, mais « de réfléchir ensemble pour avoir une vision claire de ce qu’ont vécu les salariés et les entreprises, et fournir à ces dernières des points de repère ». Malgré cette divergence de finalité, les partenaires sociaux ont lancé vendredi 5 juin un cycle de réunions sur le télétravail (Le Monde, 8 juin 2020, Télétravail : revoir de près les règles du travail de loin).
Union européenne :
Ce que nous dit la crise du Covid-19 sur l’état de l’Union par Emmanuelle Bribosia, Louise Fromont, Cecilia Rizcallah et Isabelle Rorive. Les auteurs retracent les étapes de la crise du Covid-19 au niveau de l’Union européenne et rappellent qu’alors que la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 bat son plein et qu’une grave crise économique et sociale s’annonce à l’horizon, plusieurs semaines ont été nécessaires pour que les États membres trouvent un accord sur les moyens à mettre en œuvre pour en atténuer les dégâts. Elles ajoutent qu’outre le débat légitime autour du caractère approprié et suffisant des solutions retenues, la gestion actuelle de la crise du Covid-19 appelle trois réflexions plus fondamentales autour du fonctionnement de l’Union économique et monétaire :
- Premièrement, il est temps que les « dogmes » fondateurs de l’Union économique et monétaire soient remis en question.
- Deuxièmement, la crise du Covid-19 relève de la responsabilité collective de l’Union européenne et de ses États membres.
- Troisièmement, la question de la protection des droits fondamentaux des citoyens européens, notamment leurs droits économiques et sociaux, est, à l’instar de la précédente crise, complètement éludée du débat.
Parallèlement, en coulisses de la gestion sanitaire et économique de la crise, les auteurs indiquent que d’autres fondamentaux de l’Union européenne continuent également de s’écrouler, et de mentionner :
- La « loi coronavirus » en Hongrie
- Le projet de loi approuvé par la diète en Pologne qui autorise le maintien des élections présidentielles et leur organisation par voie postale
Les atteintes à l’État de droit et les dérives dans ces deux États membres ne sont pas récentes et pourtant, l’Union européenne n’a jusqu’alors que peu réagi, ce que l’article vient dénoncer avec force en évoquant « l’indigence de l’Union européenne » qui a « échoué à défendre ses valeurs menacées par ces tournants autocratiques ».
Cour européenne des droits de l’homme :
Robert Spano, juge élu au titre de l’Islande, a pris ses fonctions de Président de la Cour européenne des droits de l’homme le 18 mai 2020. Il succède à Linos-Alexandre Sicilianos, juge élu au titre de la Grèce.
Le 4 juin 2020, la Cour a rendu un arrêt de chambre concernant la France, l’arrêt Association Innocence en Danger et Association Enfance et Partage c. France (req. nos 15343/15 et 16806/15), où elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 3 (interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme et à la non-violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) de ce Traité. L’affaire concerne le décès, en 2009, d’une fille de huit ans (M.) à la suite des sévices infligés par ses parents. Les requêtes ont été introduites par deux associations de protection de l’enfance. La Cour constate que le « signalement pour suspicion de maltraitance » de la directrice de l’école en juin 2008 a déclenché l’obligation positive de l’État de procéder à des investigations. Elle conclut que les mesures prises par les autorités entre le moment du signalement et le décès de l’enfant n’étaient pas suffisantes pour protéger M. des graves abus de ses parents. En ce qui concerne l’action en responsabilité civile de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, la Cour juge que le fait que l’association requérante Innocence en danger n’ait pas rempli les conditions posées par la loi en la matière ne suffit pas pour conclure que le recours, pris dans son ensemble, n’est pas « effectif ».
Droit international :
Donald Trump annonce que les États-Unis mettent fin à leur relation avec l’OMS. Le président des États-Unis, Donald Trump, a annoncé, vendredi 29 mai, qu’il mettait fin à la relation entre son pays et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), agence des Nations unies (ONU) pour la santé publique. La décision de D. Trump est motivée par le fait que l’OMS n’a pas procédé aux réformes qu’il a demandées au début du mois et que l’instance a fait l’objet de pression de la part des autorités chinoises pour qu’elle induise en erreur le monde entier lorsque le virus a été découvert par les autorités chinoises. L’OMS s’est dotée d’un programme de gestion des situations d’urgence sanitaire qui « englobe la totalité du cycle de gestion des risques, ce qui signifie qu’il collabore avec les pays pour prévenir les situations d’urgence avant qu’elles ne surviennent en travaillant à la prévention et à la préparation, qu’il soutient la riposte face à une situation d’urgence, et également, une fois l’événement initial passé, le relèvement ». Le programme prévoit que les capacités opérationnelles viennent compléter les rôles techniques et normatifs traditionnels. Il vise à diriger et coordonner aussi l’action sanitaire internationale visant à endiguer les flambées de maladie, à porter un secours efficace aux populations touchées et à permettre le relèvement.
La décision unilatérale de Donald Trump de mettre fin à la participation des États-Unis au programme de l’OMS constitue « un sérieux revers pour la santé mondiale », a jugé samedi le ministre allemand de la Santé, Jens Spahn, sur Twitter.
Protection des données :
La protection des données personnelles en situation de crise sanitaire exceptionnelle : L’hypothèse du traçage géographique des citoyens à fin de lutte épidémique. Cette communication a été prononcée dans le cadre du colloque virtuel des 27, 30 et 31 mars 2020 portant sur Droit et coronavirus. Le droit face aux circonstances sanitaires exceptionnelles, organisé sous la direction de S. Slama, O. Mamoudy, F. Rolin, R. Tinière et X. Dupré de Boulois. De récents travaux de recherche en mathématiques prédisent la possibilité de mettre un terme à l’épidémie de Covid-19 en procédant au traçage géographique des citoyens au moyen de leur téléphone mobile. Face au défi éthique que constitue le choix de recourir ou non à un tel traitement de données à caractère personnel, c’est aux autorités publiques qu’il appartient, en toute responsabilité, de trancher. Néanmoins, la marge d’appréciation dont celles-ci disposent ne doit pas les conduire à remettre en cause certains fondements de la démocratie libérale.
Le Comité National Pilote d’Éthique du Numérique a rendu son premier rapport. Il aura fallu 6 mois pour que ce nouvel organe se positionne sur un sujet majeur : les enjeux éthiques concernant les outils numériques pour le déconfinement. Autrement dit, quels sont les enjeux éthiques du traçage ? La période actuelle révèle la tentation d’utiliser des outils de surveillance au nom de la santé publique mais au mépris des libertés individuelles. C’est pourtant au carrefour de ces deux visions que se situe le Comité. En effet, ce dernier ne s’oppose pas aux applications de traçage mais recommande un encadrement éthique de son utilisation. Ainsi, le Comité précise que celle-ci doit respecter plusieurs principes : la non-discrimination, la transparence, le consentement et le volontariat, la protection de la vie privée, l’interopérabilité et la sécurité des applications. Ces principes sont accompagnés de mesures pratiques permettant de les rendre opératoire. Si on sort de la situation très particulière des applications de traçage on notera la place nouvelle de l’éthique dans la régulation du numérique. Après la biomédecine, le numérique devient le lieu de réflexion de l’éthique. Reste à voir comment fonctionnera ce Comité car le rythme de la biomédecine n’est pas celui du numérique.
Sur France culture, « L’invité(é) actu » du samedi 30 mai 2020 est consacrée à l’application de traçage StopCovid qui pose la question plus large de la place pour l’intelligence artificielle dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus. Caroline Broué en discute avec la docteure en sciences et entrepreneuse spécialiste des algorithmes, Aurélie Jean. A réécouter sur https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-actu/invite-actu-des-matins-du-samedi-suite-du-samedi-30-mai-2020
A réécouter également, l’émission « Signes des temps » par Marc Zweitmann intitulée « L’application Stopcovid et la mise en algorithmes de nos corps » sur https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/lapplication-stop-covid-et-la-mise-en-algorithmes-de-nos-corps.
L’hebdomadaire LE 1 consacre son numéro du 27 mai 2020 à la surveillance sous le titre « Silence, on nous surveille » (https://le1hebdo.fr/journal/numero/298). Il contient notamment un entretien avec Cédric Villani, député et mathématicien sur l’application. A lire sur https://le1hebdo.fr/journal/numero/298/pour-dompter-l-pidmie-il-faut-investir-dans-le-traage-3863.html
Enfin, dans le Monde, plusieurs articles sont à noter sur l’application et aussi sur les outils de traçage au niveau européen, tels que « Feu vert parlementaire pour l’application StopCovid » d’Alexandre Lemarié dans le n° du 29 mai 2020, p. 10 ; « Autour de l’application StopCovid, des polémiques et un débat » de martin Untersinger et « Renforcer l’interopérabilité des outils de traçage du Covid-19 au niveau européen », n° du 28 mai, respectivement pp. 10 et 27.
Protection de l’enfance :
Pour un point sur l’actualité en protection de l’enfance : ICI
En période de confinement, l’exercice de l’autorité parentale, notamment pour les parents séparés, s’est complexifié. Maître Carine Denoit-Beniteux a réalisé une étude sur l’aménagement de l’autorité parentale en période de confinement.
Une courte vidéo émanant d’une ONG qui souligne la difficulté extrême dans laquelle se trouvent les camps de réfugiés face au Covid-19 dans un contexte de guerre et de crise humanitaire. Les témoignages des enfants révèlent les conséquences de la crise sanitaire pour eux et leurs familles.
Le contrôle du juge sur les mesures prises pour lutter contre la propagation du coronavirus Covid-19 :
- le contrôle administratif sur les mesures gouvernementales :
Pour un commentaire critique de la première ordonnance du juge des référés-liberté du 22 mars 2020 qui porte sur le premier décret du Premier ministre instituant le confinement de la population nationale, lire Jeanne de Gliniasty, « La gestion de la pandémie par la puissance publique devant le Conseil d’État à l’aune de l’ordonnance de référé du 22 mars 2020 », in Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, 1er juin 2020 (accessible gratuitement sur le site de la revue https://journals.openedition.org/revdh/)
- le contrôle constitutionnel sur les mesures législatives :
pour un commentaire de la décision du Conseil constitutionnel 2020-800 DC du 11 mai 2020 sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (pour rappel, décisions sur le site du Conseil; et pour le texte de la loi promulguée) lire Vincent Sizaire, « Consolidation du domaine de la liberté. À propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 », in Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, 28 mai 2020.
- le contrôle parlementaire :
A l’Assemblée nationale, la mission d’information sur l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Covid-19 s’est transformée en commission d’enquête le mercredi 3 juin 2020. Entretien avec le député Damien Abad (désigné vice-président de cette commission) dans le Monde du mercredi 3 juin 2020, p. 10 ; et sur le site de ce journal, article du 4 juin 2020 de Sarah Belouezzane et Alexandre Lemarié « Commission d’enquête sur la crise sanitaire : la majorité redoute un ‘procès politique’ », à lire ICI)
Libertés publiques :
Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, a publié le 3 juin 2020 son rapport d’activité pour 2019. Publié aux éditions Dalloz, ce rapport est disponible en librairie. Il sera téléchargeable en intégralité sur le site du contrôle général à partir de mercredi 15 juillet (délai conventionnel pour ne pas interférer avec les actions promotionnelles de l’éditeur). Par contre un dossier de presse est d’ores et déjà accessible sur le site du CGLPL, tout comme les « Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté ». Il s’agit d’un document inédit, corpus de 257 recommandations s’appliquant à l’ensemble des lieux de privation de liberté et publié à la même date.
A lire aussi dans le Monde du 28 mai 2020, p. 12, 3 articles sur les aménagements des procédures judiciaires à l’heure du coronavirus et du déconfinement.
Criminologie :
S’entendre dire en psychothérapie : « Ne me touchez pas ! » est une injonction paradoxale pour un psychologue clinicien. La crise sanitaire due au coronavirus pourrait bouleverser la relation et le lien thérapeutiques soignant-soigné. Face à des patients qui relèvent d’une contrainte pénalement ordonnée et dont la problématique mise en cause est l’effraction de l’intime, l’application des protocoles sanitaires post-confinement remettrait en question le cadre et les objectifs thérapeutiques dans la clinique de l’agir. Dans ces conditions, comment rester psychologue face à une « haptophobie collective » ?
Contributeurs :
Nadia BEDDIAR, Bernadette DUARTE, Sarah DURELLE-MARC, Yacine DAQUIN, Virginie LE BLAN, Sonia Le Gouriellec, Jean MOTTE DIT FALISSE, Marion ROUSSEAUX
Article édité le 8 juin 2020
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