La revue de presse académique #5
Voici la 5ème édition de la revue de presse académique, en temps de crise sanitaire, rédigée par nos enseignants-chercheurs.
Bonne lecture !
Généralités :
Nous parlions précédemment d’inflation voir de Far West juridique, un article sorti dans le magazine ActuEL Direction Juridique montre que les juristes ne cessent de se former et s’informer sur les incidences juridiques de la crise.
Droit de l’enfant :
Dans une lettre adressée à Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, et à Adrien Taquet, Secrétaire d’État en charge de la Protection de l’enfance, plusieurs organisations et associations, telles que le Syndicat de la magistrature et le Barreau de Paris, ont fait part de leur inquiétude quant au sort des mineurs confrontés à la justice dans le contexte actuel. Leurs craintes concernent autant les mineurs délinquants que les enfants bénéficiant de mesures d’assistance éducative, dès lors que le suivi éducatif est devenu compliqué, voire impossible, du fait des mesures de confinement. En outre, la simplification des procédures résultant des ordonnances gouvernementales porte atteinte au droit du mineur d’être entendu dans les procédures judiciaires. L’accès des enfants à la justice est également entravé, notamment pour les mineurs non accompagnés.
Droits de l’Homme :
Les mesures d’état d’urgence sanitaire pouvant avoir un impact fort sur les droits fondamentaux, la Cour Nationale des Droits de l’Homme a créé un Observatoire de l’état d’urgence sanitaire et du confinement. Vous retrouverez ici un article du Monde résumant la vocation de cet observatoire, et ici le lien vers le site web dudit Observatoire, ainsi que la première lettre d’information et le premier avis.
Suite aux mesures prises pour l’état d’urgence sanitaire, les demandes d’asile ont été interrompues, forçant ainsi de nombreuses personnes à devoir attendre pour déposer leur demande de protection. Le Tribunal administratif de Paris a conclu que cette impossibilité de déposer une demande d’asile constituait une atteinte grave et manifeste de la liberté fondamentale qu’est la demande d’asile, et enjoint de rétablir le dispositif d’enregistrement des demandes d’asile supprimé au mois de mars. Vous trouverez ici le lien vers l’ordonnance et un résumé.
Un lien qui peut intéresser ? Il s’agit de la 50ème session d’été (cours mis en ligne) de la fondation René Cassin Droit International des Droits de l’Homme & Droit International Pénal et Humanitaire.
En Pologne, la question du maintien ou du report de l’élection présidentielle initialement prévue le 10 mai 2020 sera vraisemblablement tranchée le 7 mai, date à laquelle aura lieu le vote définitif par la chambre basse du Parlement sur la loi modifiant le code électoral et introduisant le vote par correspondance généralisé. Nombreux sont ceux qui contestent le caractère démocratique de la future élection présidentielle si elle était effectivement organisée par voie postale à la date initialement fixée, tels que le bureau des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la Cour suprême polonaise, le Médiateur de la République, des O.N.G.… 600 juges polonais ont appelé l’OSCE à envoyer des observateurs pour contrôler le bon déroulement de l’élection si elle n’est pas reportée. La Commissaire européenne chargée de l’État de droit s’est aussi inquiétée de l’organisation dans la précipitation d’une telle élection en « cette période extraordinaire » de pandémie.
La Commission européenne de Bruxelles a par ailleurs lancé le 29 avril une nouvelle procédure d’infraction contre la Pologne concernant la nouvelle loi sur le système judiciaire du 20 décembre 2019 et entrée en vigueur le 14 février, notamment parce qu’elle « porte atteinte à l’indépendance des juges polonais et est incompatible avec la priimauté du droit de l’Union européenne » du fait d’une loi permettant au pouvoir de sanctionner les juges qui critiquerait d’autres réformes de la justice. (Cf. « En Pologne, la campagne présidentielle prend une tournure surréaliste », in Le Monde du 2 mai 2020).
La Cour européenne des droits de l’homme a adapté dès le 16 mars 2020 son fonctionnement à la crise du Covid-19 (cf. ses communiqués de presse nos 094, 103, 108 et 111). Et là depuis rendu plusieurs arrêts et décisions dont 2 arrêts condamnant la France pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme dans Castellani c. France (mauvais traitement infligé lors d’une opération insuffisamment planifiée et pour usage excessif de la force par le GIPN lors de l’arrestation d’un suspect) et pour violation de l’article 10 de cette Convention Tête c. France (ingérence disproportionnée à la liberté d’expression du fait de la condamnation pour dénonciation calomnieuse de l’auteur d’une lettre ouverte, adressée à l’Autorité des Marchés Financiers). Elle a aussi désigné son nouveau président, le juge élu au titre de l’Islande, Robert Spano et ses nouveaux vice-présidents (la juge au titre de la Croatie, Ksenija Turković) et président de Section (le juge au titre de la Bulgarie, Yonko Grozev). Ces derniers prendront leurs fonctions le 18 mai 2020.
A ce jour, 10 Etats Parties à la Convention européenne des droits de l’homme ont informé le Secrétaire général du Conseil de l’Europe qu’en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19, ils recouraient à l’article 15 autorisant des dérogations sous conditions aux obligations prévues par ce Traité. Le texte de ces déclarations ICI et un commentaire sur l’usage de ce régime d’exception pendant cette crise, Frédéric Sudre, « La mise en quarantaine de la Convention européenne des droits de l’homme », Le club des juristes, 20 avril 2020. On lira également : Carole Nivard, « Le respect de la Convention européenne des droits de l’homme en temps de crise sanitaire mondiale », in Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, 6 avril 2020.
Union européenne :
Le site Toute l’Europe propose une chronologie de la pandémie de Coronavirus en Europe, en reprenant les événements clés qui ont marqué cette crise sanitaire ainsi que les actions et mesures adoptées par l’Union européenne.
A partir du 4 mai 2020, l’Union européenne, en collaboration avec l’OMS et d’autres partenaires, organise une Conférence internationale d’appel aux dons en vue de mobiliser 7,5 milliards d’Euros de financement pour lancer la coopération mondiale dans le domaine de la recherche. Les fonds collectés seront répartis en trois volets : outils de diagnostic, traitements et vaccins. Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une réponse multilatérale à la crise de la COVID-19 et fait suite à un engagement pris par les dirigeants de l’UE lors des réunions du G20 et du G7. Plus d’informations ici.
Parallèlement à la pandémie, une « infodémie » (expression de l’OMS) se propage partout dans le monde. Face à la difficulté de dégager les vraies informations, les institutions de l’Union européenne s’engagent et fournissent des sources vérifiées concernant le Covid-19 afin de lutter contre la désinformation.
La Conférence sur l’avenir de l’Europe est reportée. En décembre 2019, le principe de la tenue d’une Conférence sur l’avenir de l’Europe est acté entre les États membres. La Conférence à venir fait partie des principaux engagements de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et doit être organisée par les institutions (Parlement, Commission et Conseil). Cette nouvelle conférence doit impliquer un échantillon représentatif de la société et donner aux citoyens européens la possibilité de contribuer à la réforme de l’Union européenne : elle vise à renforcer le processus démocratique dans l’Union européenne. Les travaux de la Conférence devaient débuter le 9 mai, lors de la Journée de l’Europe et durer deux ans. Cependant, la crise du Coronavirus impose un report des travaux au mieux de trois mois, c’est-à-dire à septembre 2020, ainsi que l’a déclaré la Vice-présidente de la Commission européenne, Dubravka Suica (ici).
Droit et libertés :
Le débat à l’Assemblée nationale sur l’application StopCovid initialement prévu le 28 mai a été reporté par le gouvernement du fait des « incertitudes » qui demeurent encore autour de cette application de traçage des malages. Le Premier ministre a annoncé qu’un vote aurait lieu à une date ultérieure, conscient que le déploiement généralisé sur le territoire national d’une telle application « ne manquerait pas de poser en matière de libertés publiques » des « questions ». Rappelons que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu un avis public le 26 avril donnant raison au gouvernement dans ses grandes lignes tout en préconisant une série de recommandations strictes. La Commission nationale consultative des droits de l’homme a aussi rendu un avis sur le suivi numérique des personnes le 28 mai (en même temps que 2 autres avis portant sur L’état d’urgence sanitaire et l’Etat de droit et Une autre urgence: le rétablissement du fonctionnement normal de la justice). Elle « considère que l’intérêt et l’efficacité d’un tel suivi pour endiguer la propagation du virus sont trop incertains en comparaison de la menace disproportionnée qu’ils font peser sur les droits et libertés fondamentaux ». À lire : le dossier intitulé « Sur les traces de l’application StopCovid » et l’article « Le débat parlementaire sur l’application StopCovid reporté » in Le Monde respectivement du 29 avril 2020 et du 30 avril 2020; pour les avis précités cf. les sites CNIL.fr et CNCDH.fr; et pour un commentaire, Aurèle Pawlotsky, « L’utilisation des données personnelles dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, un risque pour les droits et libertés ? », in Revue des droits de l’Homme, Actualités Droits-Libertés, 15 avril 2020.
Des chercheurs exposent les risques du traçage pour les non-initiés et démontrent de l’impossible anonymisation des données. Tout ceci relève d’un véritable enjeu démocratique.
Du fait de la crise sanitaire, le bon fonctionnement de la justice en France est perturbé à plus d’un titre et est contraint d’adapter ses procédures. Saisi le 5 février 2020 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a été amené à statuer sur une question qui a un écho particulier à l’heure où il convient de prendre des mesures de précaution pour éviter la propagation du coronavirus COVID-19. En effet, les juges de Montpensier dans leur décision du 30 avril 2020 ont statué sur la conformité à la Constitution de l’utilisation de la visioconférence sans accord du détenu dans le cadre d’audiences relatives au contentieux de la détention provisoire. Ils ont jugé que les dispositions du quatrième alinéa de l’article 706-71 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, et qui fixe les conditions dans lesquelles il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour les audiences de la chambre de l’instruction relatives au contentieux de la détention provisoire, « portent une atteinte excessive aux droits de la défense et doivent être déclarées contraires à la Constitution ». Néanmoins, ils ont décidé de différer les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité et notamment reporté au 31 octobre 2020 la date de l’abrogation des dispositions contestées. cf. Décision n° 2020-836 QPC.
Droit international :
L’Etat du Missouri avait été le premier a intenté une action contre la Chine il y a quelques semaines. La Chine peut-elle être tenue juridiquement responsable de la crise sanitaire ? Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international à l’Université de Versailles (Paris Saclay) en expose les fondements juridiques et les limites.
Droit administratif :
Tout va bien dans la start up nation ! Au premier jour du confinement on n’avait pas suffisamment de masques pour tous les soignants mais on avait des drones. Peut-être avez-vous entendu passer l’un de ces petits engins lors d’une de vos sorties pendant le confinement ou avez-vous pu voir des images circuler sur les réseaux sociaux ? Le ministère de l’intérieur, confiant dans cette technologie, vient de lancer un généreux appel d’offre pour plus que doubler sa flotte actuelle.
Pour rappel, il existe une réglementation fournie s’agissant de la circulation de ces appareils. Depuis 2012, la France a décidé d’encadrer l’évolution et la conception des drones civils par deux arrêtés mis à jour en 2015 et complétés par une loi de 2016. L’encadrement français a toutefois vocation à subir des modifications suite à la consécration de mesures au niveau de l’Union Européenne, qui, Corona virus oblige, verront leur application reportée en 2021. Mais cet encadrement juridique s’applique uniquement pour les drones civils à savoir ceux utilisés par des particuliers à des fins de loisir et ceux utilisés par des professionnels pour des activités qualifiées par les textes de particulières.
Les drones utilisés par les forces de l’ordre actuellement pour visiter les artères des villes ou les campagnes et veiller au strict respect du confinement sont eux des drones d’États qui s’inscrivent dans un autre dispositif juridique tel que le prévoit l’arrêté de 2013.
Une particulière vigilance s’impose au regard de la multiplication des usages de ces engins et notamment s’agissant de la captation de données personnelles. Pour une réflexion d’ensemble sur cette question sensible des données, vous pouvez retrouver des réflexions variées dans la cinquième émission du late law show.
Histoire :
Dans cet article, l’historien et écrivain Jean-Yves Potel s’interroge sur les leçons qu’il est possible de tirer des crises passées, à partir de l’analyse de deux livres parus peu avant l’arrivée du virus. À la fois l’ouvrage de l’historien britannique Ian Kershaw, L’âge global. Europe, de 1950 à nos jours, ainsi que l’essai de l’économiste Anton Brender, Capitalisme et progrès social, permettent de conclure, sans doutes, que les leçons du passé doivent aider à comprendre le présent.
Ghislain de Marsily, Professeur émérite et Membre de l’Académie des Sciences nous replonge dans l’épisode de peste qui a touché la ville de Marseille en 1720 pour mieux comprendre la crise actuelle. Quelles sont les similitudes ? Que devons-nous en retenir ?
Des antécédents historiques pré-blanqueriens… Dans les Notes et documents pour servir à l’histoire de la ville de Lyon publiées en plusieurs tomes à la fin du XIXe siècle, l’on peut lire les mesures qui furent prises en l’an 1585 en matière d’école pour faire face à la « maladie contagieuse » probablement la peste. « 1585 – Avril 11. Le Consulat ordonne que les enfants abécédaires cesseront d’aller au collège, jusqu’à ce que « l’on voye quel progrès fera la maladie contagieuse dont la ville, est affligée. »
Le 30 , on arrêta que les classes ne se rouvriroient qu’après la Pentecôte.
1585 – Août 20. Sur les remontrances du recteur du collège, que la contagion augmente, et qu’elle s’est mise en la maison d’un pédagogue d’enfants près le collège, le Consulat arrête, pour obvier à tous dangers, de congédier tous les pensionnaires et étudiants qui sont au collège, et d’interdire la lecture jusqu’à la S. Rémi prochaine.
1585 – Le 5 novembre, on permit au recteur dit collège de rouvrir les classes, sauf celles des abécédaires « jusqu’à ce qu’il ait plu à Dieu éteindre entièrement la maladie contagieuse qui pullule encore en « quelques endroits de la ville ».
Document accessible sur Gallica.
Pour revisiter les épisodes pandémiques depuis l’Antiquité, Lydia McMullan, Garry Blight, Pablo Gutiérrez et Cath Levett proposent un voyage visuel à travers le temps et l’espace. Une approche tout à fait originale pour croiser histoire, hommes, maladies, morale, etc.
Science politique :
Deux revues conservatrices américaines qualifient l’épidémie de résurgence du Léviathan : la vision de Hobbes au XVIIe siècle d’un État puissant dont nous acceptons les contraintes pour nous protéger. Néanmoins cette lecture du philosophe anglais est un peu réductrice.
Le journaliste Jean Quatremer propose une analyse polémique des libertés pendant la crise et affirme « C’est le triomphe de l’individualisme, celui de la santé immédiate de l’individu face au bien-être collectif actuel et futur. »
Alors que les atteintes à la démocratie semblent se multiplier et que d’aucuns dénoncent un recul démocratique fort en France, il convient de raison garder et d’analyser les différents critères qui permettent d’évaluer la démocratie. A cette fin, on peut consulter en lige les données récoltées par l’Université de Göteborg en Suède sur les degrés et différents types de démocraties dans le monde. Son rapport 2020 vient de paraître.
Divers :
Un intéressant article sur les relations entre la Science et le Pouvoir dans The Conversation, par Bernadette Bensaude-Vincent, philosophe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, intitulé « Penser l’après : Sciences, pouvoir et opinions dans l’après Covid-19 » .
Pour les abonnés d’Alternatives Economiques, le juriste Alain Supiot, professeur émérite, titulaire de la chaire « Etat social et mondialisation : analyse juridique des solidarités » nous interpelle sur e rôle de l’Etat social : « seul le choc avec le réel peut réveiller d’un sommeil dogmatique »
Le Temps du débat sur France Culture propose plusieurs émissions pour nous aider à comprendre l’impact de la crise sanitaire : le rôle de l’Etat, le danger pour les libertés, la crise et le genre, le coronavirus et la culture.
Ces photographes ont capturé des images du ramadan dans le monde.
Contributeurs :
Monica CARDILLO, Carole COGNET, Noémie DELLI-VANEECLOO, Bernadette DUARTE, Sarah DURELLE-MARC, Aurélia LAMIROY, Sonia LE GOURIELLEC, Blandine MALLEVAEY, Alicia MAZOUZ
Article édité le 4 mai 2020
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